COMMUNICATION DU MINISTRE DES DROITS HUMAINS, DE L’EGALITE DES CHANCES ET DES GABONAIS DE L’ETRANGER,Alexandre Désiré TAPOYO

SEMINAIRE INTERNATIONAL DE RECHERCHE  SUR LE THEME :  « Droits de L’Homme, migration et droits D’asile : Expériences africaines »


Genève, le 16 mars 2015 

 

Excellence Monsieur l’Ambassadeur Représentant Permanent du Royaume du Maroc,

Excellences Messieurs les Membres du Gouvernement et Chers Collègues,

Madame le Directeur Général adjoint de l’Organisation Mondiale des Migrations,

Monsieur le Secrétaire Général de l’Organisation Démocratique du Travail

Distingués invités en vos rangs, grades et qualités et fonctions,

Chers participants et séminaristes,

Mesdames et Messieurs,

Qu’il me soit tout d’abord permis d’exprimer l’immense honneur qui est le mien et celui de mon pays, le Gabon, de pouvoir participer à cette illustre rencontre d’échanges et de partage, suite à l’aimable invitation qui m’a été adressée par le Gouvernement Marocain.

Le Gouvernement  Gabonais  ne peut qu’y voir le signe d’une coopération sud-sud vivace, ardemment promue par nos Chefs d’Etats respectifs.

Voudrez-vous donc, Excellence Monsieur Le Ministre Anis BIROU, Ministre  des Marocains de l’Extérieur, transmettre les sincères et chaleureux remerciements du Gouvernement gabonais, au peuple Marocain, pour cette haute marque de considération fraternelle confirmant les liens solides unissant le Gabon au Royaume du Maroc.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le Gabon est particulièrement concerné par le thème que nous abordonsaujourd’hui, car il fait face depuis des décennies à l’arrivée massive, et à majorité illégale, de migrants économiques, dont le nombre croît malheureusement à un rythme plus élevé que les politiques que nécessiterait la gestion de tels flux de migrants.  Cela pose, de toute évidence, des problèmes relatifs à la gestion des flux migratoires, aux opportunités socioéconomiques qu’ils peuvent favoriser, et aux éventuels dangers que revêtent lesdits mouvements, nonobstant le gain multidimensionnel indéniable que procure le foisonnement des peuples.

En parlant de migration, nous touchons à un des droits fondamentaux de tout être humain, celui de la liberté d’établissement. Cette liberté est d’autant plus accrue aujourd’hui que les progrès technologiques et la mondialisation offrent une plus grande mobilité des personnes, tout en élargissant  d’un ailleurs plus prospère. 

Pour le cas spécifique du Gabon, il faut dire que nous sommes historiquement un pays d’immigration. Il est en effet très difficile, dans l’imaginaire populaire de l’Africain en général et du Gabonais en particulier, de voir un migrant issu d’un pays du Continent autrement que comme un « frère ».

Pour autant, tout en demeurant une terre historique d’accueil,le Gabon entend continuer de mener une politique pragmatique, prudente, et respectueuse de la dignité des personnes migrantes tout autant que des populations gabonaises. Cette politique se veut une politique d’immigration contrôlée mais à visage humain.

Cette option réaliste est notamment dictée par les enjeux sécuritaires non négligeables qui découlent de flux importants de populations d’origines et parfois de cultures différentes. Cet aspect est notamment géré par la Direction Générale de la Documentation et de l’Immigration (DGDI), sur la base de la loi n°5/86 du 18 juin 1986 fixant le régime d’admission et de séjour des étrangers en République gabonaise. Cette loi nécessite une révision, afin de l’arrimer aux textes internationaux en la matière.

Ce phénomène est d’autant plus difficile à endiguer qu’il prend racines, entre autres sources, dans la porosité de nos frontières terrestres et maritimes, et dans la disharmonie entre les réalités culturelles et sociologiques ayant cours sous nos cieux, d’une part, et les limites frontalières issues de la période coloniale, d’autre part. Ainsi, peut-on par exemple trouver des membres d’une même famille vivant de part et d’autre d’une frontière, mais avec des nationalités différentes.

Les statistiques en matière d’immigration clandestine, bien que sujettes à une fiabilité très relative, révèlent un fort taux de personnes gagnant de manière informelle les côtes fluviales et maritimes gabonaises, parfois au péril de leurs vies et par l’entremise de réseaux aussi obscurs que peu soucieux du caractère sacré de l’intégrité physique et morale descandidats à l’immigration.    

Plus inquiétant, ce fléau est aussi le terreau de développement de trafics en tous genres aussi condamnables et inacceptables que la traite des personnes en général, et des enfants en particulier. 

Aussi, afin de concilier les exigences sécuritaires avec les impératifs humanitaires, le Gabon a-t-il décidé de prendre des mesures d’accompagnement et non simplement répressives, en mettant en place des centres de rétention administrative et non de détention. Ainsi, depuis 2010, les migrants clandestins en attente de rapatriement peuvent bénéficier de conditions de vie optimales dans des structures appropriées telles que les chambres à coucher en lieu et place de cellules, de lits et toilettes modernes, et d’un réfectoire pour leur restauration saine et équilibrée, tout ceci en collaboration avec les missions diplomatiques et consulaires des Etats d’origine.

Dans ces établissements, lesdits pensionnaires bénéficient d’un suivi médical, d’une veille sanitaire, et de conditions de repos normales. On peut en juger à travers la séparation des dortoirs dédiés aux filles ou dames d’avec ceux réservés aux hommes, et d’avec ceux prévus pour les mineurs. Les enfants en bas âge, quant à eux, peuvent y dormir avec leurs mères. Il va sans dire que toutes ces mesures sont vérifiables par les autorités diplomatiques locales des pays d’origines.

Dans le cadre d’une démarche plus volontariste, et compte tenu des observations pertinentes de divers partenaires, l’Etat envisage la construction  d’un plus grand centre supplémentaire du même type.

En outre, afin de permettre aux immigrés clandestins de sortir de l’illégalité et de participer pleinement à la vie de la cité, le Gabon a organisé une campagne massive de régularisation à Libreville il y a deux ans déjà, au bénéfice des ressortissants étrangers en situation irrégulière. Toute chose qui, comme on peut le constater, indique la place privilégiée, au Gabon, du respect de la dignité humaine et des droits rattachés à celle-ci dans l’action publique relative à cet aspect de la problématique migratoire.

Cependant, je voudrais mettre à profit l’occasion qui m’est offerte pour solliciter des participants au présent séminaire des contributions et avis utiles à une meilleure régulation, dans mon pays, du phénomène d’immigration clandestine. Ce souhait est d’autant plus fervent que la cote d’alerte en la matière est pratiquement entamée, avec le lot de drames et de tragédies humaines induits par cet état de fait. Il ne se passe presque pas une semaine sans que l’on fasse des découvertes macabres de clandestins, adultes ou enfants, échoués d’une embarcation de fortune, notamment du fait de conditions très précaires de navigation.

Ainsi, pour assurer les droits des migrants, il est nécessaire de lutter contre les trafiquants qui profitent de la misère et du désarroi de ces personnes.

Convenons-en, Excellences, Mesdames et Messieurs, des solutions adaptées sont plus que jamais nécessaires à la résorption durable d’un aussi grave fléau qui, au demeurant, jette le discrédit sur la réputation internationale du Gabon,  aujourd’hui indexé, bien souvent à tort, par les instances internationales au sujet du trafic et de l’exploitation des mineurs issus essentiellement de ce phénomène.  

Chers Collègues, Distingués invités, Mesdames et Messieurs,

Au-delà des migrations économiques, il existe les départs forcés pour raisons politiques, de conflits armés ou de catastrophes naturelles.

Dans un environnement marqué par de nombreux différends, entretenus par un certain déficit démocratique ou tout autre facteur de crise violente ici et là à travers notre espace continental, les guerres en Afrique, comme ailleurs, ont de tout temps occasionné des déplacements massifs des populations, ainsi habitées par la peur et la douleur provoquées par la cruauté humaine.

Le Gabon n’a certes pas connu d’événement similaire au cours de son histoire, mais il a dû parfois en vivre les conséquences que sont les mouvements importants de refugiés vers son territoire, suite aux guerres alors survenues dans des pays limitrophes.

Sur le plan juridique en particulier, ayant ratifié respectivement la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, le Protocole relatif au statut des refugiés du 31 janvier 1967 et la Convention de l’OUA régissant tous les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique du 12 septembre 1969, mon pays dispose d’un cadre juridique et institutionnel constitué principalement de la loi n° 5/98 du 05 mars 1998 portant statut des refugiés en République gabonaise et de la Commission nationale pour les réfugiés (CNR).

Ladite loi, en l’alinéa 2 de son article 10, exprime clairement  l’attachement de mon pays aux valeurs humaines et aux droits essentiels de chaque individu. Il stipule en effet, je cite : « Le refugié bénéficie du même traitement que les nationaux en ce qui concerne l’accès à l’éducation, les droits d’inscription scolaire et universitaires, des frais des śuvres universitaires ainsi que des avantages sociaux liés à l’exercice d’une activité professionnelle salariée ou non », fin decitation.

Dans son fonctionnement quotidien, la CNR a jusque-là pu bénéficier de l’appui technique du bureau du HCR.

Cette coopération ne s’est d’ailleurs jamais démentie en de circonstances cruciales telles que lors du conflit qu’a traversé la République sśur du Congo au début des années 1990. Durant cette période particulière, le Gabon a décidé d’accorder le statut de réfugié « prima facie », c’est-à-dire sans examen de dossier, afin de permettre aux ressortissants congolais dans l’urgence de pouvoir vivre décemment.  Cela a permis l’accès des refugiés concernés à l’identification civile aux fins de leur libre circulation et à l’emploi autant que possible, la scolarisation optimale de leurs enfants, ainsi que l’accès de tous aux soins de santé et autres opérations y relatives. Enfin, le retour de la plupart des personnes concernées s’est effectué dans le respect des normes internationales relatives à la cessation du statut de réfugié.

Ce rappel, Excellences, Mesdames et Messieurs, vise à traduire la volonté ferme de mon pays d’honorer les engagements souscrits à travers son adhésion à la quasi-totalité des instruments internationaux en matière de Droits de l’Homme et de gestion de flux migratoires, en temps de crise exogène ou endogène comme en temps de paix. La grande diversité de nationalités composant sa population d’expatriés en témoigne de façon plus visible et parlante.

A ce jour, le Gabon abrite environ deux mille huit cent soixante-quinze (2875) refugiés et demandeurs d’asiles, à coté du chiffre beaucoup plus important de résidents étrangers en situation régulière ou en voie de régularisation. Ces réfugiés et demandeurs d’asile bénéficient d’un accueil de qualité, car ils sont au contact des populations locales et qu’ils  jouissent équitablement des prestations de service public ou assimilées, et jouissent des mêmes droits que tous.

En termes de perspectives, l’Etat gabonais est en train de mener une réflexion sur les enjeux économiques liés aux migrations, notamment dans un contexte d’intégration régionale.  Cette réflexion devrait aboutir à l’élaboration d’une politique migratoire globale, fondée sur le respect des droits des migrants.

En effet, je tiens à rappeler que le Gabon, plus qu’un autre pays, a besoin de l’immigration. C’est pour cette raison que mon pays tient à contrôler les flux des migrants afin d’offrir des conditions d’accueil encore meilleures, profitables aussi bien aux migrants qu’aux populations locales. Ce n’est qu’au prix d’une plus grande maitrise des flux migratoires que nous nous assureront d’une bonne intégration des migrants.

Pour y parvenir, le Gabon espère compter sur ses partenaires, notamment africains, et sur une démarche fondée sur une coopération gagnant-gagnant, sans toutefois se départir des valeurs de solidarité et d’humanisme envers l’être humain en général mais surtout à l’égard de tout citoyen africain en détresse.

C’est tout le sens à donner aux divers accords bilatéraux ou multilatéraux de libre circulation avec de nombreux Etats, dont le Maroc ; accords s’appuyant par ailleurs sur une diplomatie apaisée et scrupuleuse de la souveraineté nationale de chaque pays.

La création, il y a plus d’un an, d’un Département ministériel dédié à la fois aux Droits Humains, à l’Egalité des Chances et aux Gabonais vivant hors du territoire national, que j’ai par ailleurs l’insigne honneur de conduire,  ne saurait être interprétée autrement que comme la manifestation de l’encrage de mon pays dans le socle inaliénable des préceptes  fondant la primauté des Droits de la personne humaine, au rang desquels celui à la mobilité transnationale.

Dans ce sillage, je m’en voudrais de ne pas porter à votre connaissance toute l’énergie que les autorités gabonaises mettent présentement dans l’accélération du processus de mise aux normes de notre Commission nationale des Droits de l’Homme aux Principes de Paris, afin d’illustrer l’intérêt primordial que le pays consacre à ses ambitions en la matière.

Distingués participants, Mesdames et Messieurs,

En observateurs attentifs que vous êtes, il ne vous aura pas échappé que le Gabon est non seulement une terre de destination migratoire mais aussi un lieu d’où partent des hommes et des femmes pour d’autres contrées et espaces géographiques.

La modeste expérience qui est la mienne, dans le cadre de mes fonctions gouvernementales, m’a permis, depuis plus d’un an, un contact plus fructueux avec mes compatriotes concernés. La tournée effectuée à cet effet auprès de 14 pays accueillant mes compatriotes demeure, pour moi, une source intarissable d’informations à exploiter judicieusement et à bon escient.

Cette tournée aura permis d’identifier les problèmes vécus, les souhaits formulés pour les surmonter, et les modes consensuels pouvant favoriser  un meilleur profit de leur expatriation, aussi bien pour ces citoyens que pour la nation gabonaise dans son ensemble.

C’est dire combien il est impératif, pour mon pays, de capitaliser le sentiment d’appartenance nationale qui ne saurait s’étioler dans l’esprit de ceux et celles vivant loin de leur terre natale qu’est le Gabon, d’autant plus que les motivations de cette expatriation se résument essentiellement dans des visées à caractères académique et professionnel.

Pour une gestion plus efficiente des émigrés gabonais, aujourd’hui estimés au nombre d’environ 30 000 âmes, il est actuellement mis en śuvre une politique visant une plus grande et réelle contribution de ces derniers à l’effort de construction nationale. En ce sens, cette importante préoccupation est désormais inscrite parmi les axes principaux de la politique gouvernementale. Une attention particulière est ainsi accordée aux difficultés sociales de ces citoyens et aux obstacles qui font entrave à la pleine jouissance de leurs droits politiques et économiques, au bénéfice de la communauté nationale et de sa cohésion sociale.

Aussi,  le Haut Conseil des Gabonais de l’Etranger, en cours de création, est un organe institutionnel autonome avec ses démembrements dans les pays d’accueil, et conduits par les intéressés eux-mêmes.  La mission principale sera de veiller aux intérêts des membres, dans l’objectif bien compris d’une contribution notable à l’essor économique et à l’émancipation sociopolitique de la nation toute entière. Toute chose, on l’aura compris, qui concourt à la garantie et au respect des droits rattachés à la condition humaine desdits citoyens et à leurs légitimes et libres aspirations. Il est aussi à souligner, le projet, entre autres, de Son Excellence Monsieur le  Président Ali Bongo Ondimba, de voir la Diaspora gabonaise être représentée à l’Assemblée Nationale et au Conseil Economique et Social.

Excellence, Monsieur l’Ambassadeur Représentant Permanent du Maroc Excellences Messieurs les Membres du Gouvernement et Chers collègues, Excellences et Distingués participants, Chers séminaristes,

N’ayons pas peur de l’Autre, car cet Autre n’est qu’un prochain à aimer, à comprendre et à respecter !

Le Royaume Chérifien nous en indique une des voies salutaires, apportons-lui notre vision contributive et enrichissante, afin que la félicité humaine soit la moindre de nos richesses en partage.

Feu Sa Majesté Hassan II ne disait-il pas, je cite : « La politique est un peu comme la météo, on progresse par temps clair ou par temps couvert, chaque fois il faut percer les nuages de l’avenir » ? Fin de citation.

Dégageons notre ciel commun de tous ces nuages qui déportent notre regard, afin que Dieu illumine nos consciences dans l’abord des sujets relatifs au rapport entre la gestion des migrations et les Droits de l’Homme.          

Je vous remercie pour votre aimable et précieuse attention.